Face à l’émergence d’une quantité massive de données jurisprudentielles, les sociétés se développant autour d’une justice préventive ne cessent de croître. Cette dernière permet de réaliser des statistiques et des probabilités sur la solution à un problème juridique donné. Afin d’éviter les dérives, le Ministère de la Justice a souhaité créer un outil d’analyse des données jurisprudentielles civiles et administratives. En 2018, à la Vendôme Tech, dédiée à la modernisation numérique de la justice, le projet « DataJust » mené par la Direction des affaires civiles et du sceau avait été présenté. Il s’est concrétisé par la parution du décret n°2020-356 du 29 mars 2020 pour une durée de deux ans.

Plusieurs problématiques ont fait émerger l’idée de cet algorithme.

 

Les objectifs escomptés

Les objectifs sont de faire naître un référentiel indicatif fiable d’indemnisation qui recensera les décisions rendues en appel depuis 2017. Sur le site Etalab, l’équipe chargée du projet indique que les victimes « pourraient comparer en pleine connaissance de cause les offres d’indemnisation des assureurs et les montants qu’elles pourraient obtenir devant les tribunaux ; les avocats disposeraient d’informations fiables leur permettant de conseiller leurs clients ; les magistrats auraient un outil d’aide au chiffrage des préjudices grâce à un accès facilité à des jurisprudences finement ciblées ». De plus, le traitement tendra à devenir égalitaire, ne prenant plus en compte la spécificité de chaque espèce. Notamment, à l’occasion du séminaire Intelligence artificielle et justice organisé par l’Université Paris Descartes le 2 avril 2019, Thomas Andrieu, le précédent directeur des affaires civiles et du sceau, ajoute « qu’il faut que l’État ait ses outils d’intelligence artificielle » pour pouvoir analyser la portée d’un projet de loi.

 

Collecte et accès aux données

DataJust détaillera les données portant sur l’identification des personnes physiques, l’information relatives aux préjudice subis, à la vie professionnelle et financière, les avis des médecins et experts ayant examiné la victime et le montant de leurs honoraires, les infractions et condamnations pénales, les fautes civiles et le numéro des décisions de justice.

La conservation de ces données ne pourra excéder deux ans dès la publication du décret et la durée nécessaire au développement de l’algorithme. L’accès aux données ne sera réservé qu’aux agents du Ministère de la justice affectés au service chargé des développements informatiques. Également, les agents du bureau du droit des obligations pourront y avoir accès, dans la limite de leurs besoins.

  

Délibération de la CNIL

Cependant, cet algorithme suscite l’inquiétude quant à la protection des données. De ce fait, la Commission Nationale Informatique et Liberté (CNIL) a été saisie le 7 novembre 2019 par le ministre de la justice d’une demande d’avis sur le projet DataJust. Dans sa délibération n°2020-002 du 9 janvier 2020, elle préconise de porter attention aux évolutions de l’algorithme et aux biais éventuels (pratique discriminatoires liées par exemple à l’origine ethnique, au genre ou encore à la situation géographique)

 

Vives réactions face à DataJust

La publication de ce décret portant création de DataJust n’a pas laissé indifférent. Il y a un risque que les barèmes restent fixes et que la marge de manœuvre des magistrats soit impacté. De surcroît, cet outil pourrait provoquer la disparition de leur profession. Hélène Fontaine, présidente de la conférence des bâtonniers, et Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil national des barreaux, ont aussi exprimé leur mécontentement sur twitter de ne pas avoir été consultées sur ce décret, publié en plein état d’urgence sanitaire.

Le 31 mars, le Conseil national des Barreaux (CNB) a rencontré sur divers sujet la Ministre de la Justice. Voici un extrait du compte-rendu du CNB: « Enfin, la ministre a indiqué que la publication du décret “DataJust” était une “erreur temporelle”. Vos représentants ont fait état de leur surprise et de leur incompréhension et de la volonté de la profession d’attaquer ce décret devant le Conseil d’État en raison des risques qu’il recèle sur l’instauration d’un barème en matière de réparation des préjudices corporels et de création d’un fichier comportant des données personnelles hors le cadre du RGPD ».

Malgré les craintes suscitées, les activités de conseil des avocats ne seront pas amoindries. DataJust ne fera que suggérer une analyse des préjudices corporels.


Publié le 28 avril 2020 par Laure Duchatelet

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Etalab DataJust

Délibération CNIL n°2020-002 du 9 janvier 2020

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Source de l’image : Burst