Contexte et enjeux

A l’ère d’Internet, la liberté d’expression est confrontée aux droits de la personnalité de plus en plus prégnants des individus. C’est le dualisme droit à l’information du public et droit au respect de la vie privée d’un individu qui se retrouve mis en exergue dans l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 27 novembre 2019. Le droit au déréférencement est l’exemple-type de ce nouvelle dyade.

Il est important de souligner le contexte particulier dans lequel cet arrêt a été rendu : l’affaire sur lequel il porte était soumise au droit antérieur à l’entrée en vigueur du RGPD le 25 mai 2018. Pourtant les Magistrats se sont référés à un arrêt de la CJUE GC e.a. contre Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL) du 24 septembre 2019 qui, bien qu’il portait aussi sur des faits soumis au droit antérieur au 25 mai 2018, a interprété ce droit antérieur à la lumière des dispositions du RGPD.

Il convient également de rappeler ex-ante que le droit au déréférencement est celui “de faire supprimer un ou plusieurs résultats fournis par un moteur de recherche à l’issue d’une requête effectuée à partir de l’identité (nom et prénom) d’une personne”, définition donnée par la CNIL.

Dans cet arrêt publié au Bulletin, la Cour de cassation affirme la nécessité pour toute autorité judiciaire saisie d’un litige relatif à une demande de déréférencement, de faire la balance entre le respect à la vie privée de la personne concernée auteur de la demande, la sensibilité des données à caractère personnel en cause et l’intérêt des tiers (en l’occurrence, dans la présente affaire, des internautes) à avoir accès à ces informations, reprenant ainsi les enseignements de l’arrêt de la CJUE du 24 septembre 2019 précité.         

La Cour de cassation s’est en effet prononcée après que la CJUE a répondu à la question préjudicielle que lui avait posée le Conseil d’Etat sur un cas d’espèce similaire. Cette nécessaire mise en balance des intérêts en jeu est d’autant plus cruciale lorsque les données à caractère personnel en cause sont des données sensibles relatives aux infractions, condamnations et mesures de sûreté.

 

Les faits de l’espèce soumise à la Cour de cassation 

Un expert-comptable a été déclaré coupable d’escroquerie par le tribunal correctionnel de Metz dans un jugement du 17 novembre 2011, et condamné à dix mois d’emprisonnement avec sursis et 20.000 euros d’amende. Deux comptes-rendus d’audience ont été publiés sur le site internet du journal « Le Républicain Lorrain ». Archivés, ces articles restaient néanmoins accessibles aux internautes qui effectuaient une recherche en utilisant le moteur de recherche Google indiquant les nom et prénom de l’expert-comptable. Le résultat de cette recherche se traduisait en effet sous la forme de liens renvoyant vers ces articles. Constatant que ces liens litigieux restaient disponibles malgré sa demande de suppression adressée à Google, l’expert-comptable a assigné, devant le Juge judiciaire, la société Google Inc., aux droits de laquelle vient la société Google LLC, aux fins de déréférencement. 

 

La solution de la Cour d’appel de Paris

En appel, les juges avaient relevé dans un arrêt du 6 décembre 2017, que l’infraction d’escroquerie avait certes été commise par l’intéressé dans la sphère privée, mais ils avaient estimé qu’il n’en demeurait pas moins que le référencement des liens litigieux conservait un caractère pertinent en raison de sa profession. En effet, l’intéressé était amené, en tant qu’expert-comptable, à donner des conseils fiscaux à ses clients, et ses fonctions de commissaire aux comptes appelaient une probité particulière.

En tant que membre d’une profession réglementée, il était considéré comme ayant un rôle dans la vie publique. De ces éléments, il en découlait que l’intérêt des internautes à avoir accès à l’information relative à sa condamnation pénale, en lien avec sa profession, devait selon la Cour d’appel, prévaloir sur le droit à la protection des données à caractère personnel. Contestant cette analyse, l’intéressé avait formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt rendu par la Cour d’appel.

 

La question juridique posée à la Cour de cassation par le pourvoi en cassation

L’inclusion d’un lien, renvoyant à un article de presse faisant état d’une décision de condamnation pénale, dans la liste des résultats d’une recherche effectuée sur un moteur de recherche à partir du nom et du prénom d’une personne physique, peut-elle être considérée comme justifiée par un motif d’intérêt public tel que le droit à l’information du public, strictement nécessaire pour assurer la préservation de cet intérêt, et primant sur le droit au respect de la vie privée et la protection des données à caractère personnel de cette personne ? 

 

La solution de la Cour de cassation

Dans un arrêt particulièrement motivé, la Cour de cassation et casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 6 décembre 2017, au visa des articles 9, 38 et 40 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, dans leur rédaction applicable au litige, issue de la loi n° 2004-801 du 6 août 2004, et des articles 9 du code civil et 809 du code de procédure civile. 

La Cour de cassation, estime que la Cour d’appel n’a pas recherché s’il était strictement nécessaire pour la protection de la liberté d’information des internautes, d’inclure les liens litigieux dans la liste des résultants, compte tenu de la sensibilité des données en cause et de la particulière gravité de l’ingérence dans les droits de l’intéressé au respect de sa vie privée et à la protection de ses données personnelles.

 

Pour conclure

En conclusion, il faut retenir de cet arrêt, rendu sur le fondement des dispositions du droit antérieur au 25 mai 2018 interprété à la lumière du RGPD, que lorsqu’une personne physique demande le déréférencement d’un contenu faisant état de données sensibles la concernant, le moteur de recherche responsable du traitement que constitue l’activité d’indexation de contenus sur Internet, à laquelle la demande est adressée, puis en cas de litige, l’autorité judiciaire à laquelle cette demande est soumise, doivent faire une appréciation approfondie du bien-fondé de la demande de déréférencement et motiver de manière claire et précise toute décision défavorable. 

Dans l’hypothèse d’un lien qui renvoie vers une page internet où des données personnelles relatives à une  condamnation pénale sont publiées, l’autorité judiciaire saisie d’un litige sur une demande de déréférencement doit ainsi vérifier, de façon concrète, si l’inclusion du lien litigieux dans la liste des résultats, affichée à la suite d’une recherche effectuée à partir des nom et prénom d’une personne physique, répond à un motif d’intérêt public important, tel que le droit à l’information du public, et si elle est strictement nécessaire pour assurer la préservation de cet intérêt.

En effet, le renvoi à un lien vers une décision de condamnation judiciaire, suite à une recherche sur le nom d’une personne, est susceptible d’affecter significativement les droits fondamentaux de cette personne à la protection de ses données et de sa vie privée.


Publié le 05 mars 2020 par Cindy Fleurdorge

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Sources

Cass. 1ère civ., 27 novembre 2019 (n°18-14.675)

Arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne du 24 septembre 2019 dans l’affaire C‑136/17

Définition du droit au déréférencement