Article rédigé par Etonam Ahianyo

Un texte voté le 19 octobre 2020 pose les bases juridiques de l’exploitation commerciale de l’image des enfants sur les plateformes en ligne. Une activité en plein essor, longtemps laissée à elle-même en France. 

Est-ce la fin de la récréation dans l’univers des enfants «influenceurs» en France ? Difficile d’y répondre par l’affirmatif. Une chose est sûre, un changement juridique de taille s’est opéré dans le secteur en avril dernier, avec l’entrée en vigueur de la loi L. nº 2020-1266, du 19 octobre 2020 (1), «visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image des enfants « influenceurs ».

«Enfants influenceurs» ou «enfants Youtubeurs», ces termes récents, nés de l’essor d’Internet, désignent des tout-petits et ados de moins de 16 ans dont la force de frappe est impressionnante sur la Toile. De par leur statut, position ou exposition médiatique, ces férus du numérique allient souvent air enjoué et ambiance bon enfant, pour influencer les habitudes des consommateurs au travers de leurs posts – vidéo, audio ou texte – sur les réseaux sociaux comme Instagram, TikTok, YouTube ou Facebook. Faisant d’eux, de véritables leaders d’opinion digitale courtisés par les marques pour faire la promo de leurs produits et services. Avec à la clé un marché du marketing d’influence en plein essor, mais en manque de régulation protégeant ces gourous du Web. Un vide juridique que les parlementaires français ont tenu à combler en votant à l’unanimité le 19 octobre dernier, le projet de loi soumis par La République En Marche (LREM). Le député Bruno Studer a précisé que certains «influenceurs» parviennent à engranger jusqu’à 150’000 euros par mois. 

Un pionnier européen

Le texte, qui fait de la France un pionnier européen en matière de régulation de l’activité des enfants «influenceurs», distingue les enfants exerçant ce métier comme travail et ceux le faisant à titre accessoire. Il impose des obligations aux parents et plateformes pour faire de la protection des mineurs de moins de 16 ans une réalité dans ce secteur florissant. Ainsi, lorsque l’activité est considérée comme un travail, les enfants «influenceurs» bénéficieront des règles protectrices applicables aux enfants mannequins, du spectacle et de la publicité. Les parents devront désormais demander une autorisation individuelle ou un agrément auprès de l’administration, avant de faire tourner leurs enfants ou de diffuser leur vidéo sur les plateformes numériques. Ils seront informés des droits de l’enfant, de leurs obligations financières et sensibilisés sur les conséquences de l’exposition de l’image de leur progéniture sur Internet. 

La loi n’a pas passé sous silence la situation des enfants relevant des «zones grises d’Internet», c’est à dire ceux dont l’activité ne peut être considérée ni comme du travail ni comme une simple distraction. Dans le cas d’espèce, les parents devront effectuer une déclaration, au-delà de certains seuils de durée, de nombre de vidéos ou de revenus tirés de la diffusion des contenus. 

«Une belle avancée»

Cette loi est «une belle avancée puisqu’on passe de rien à quelque chose. C’est une avancée parce qu’elle ne se limite pas à la relation de travail», salue Me Cathia Marion, associée d’Unik Avocats, lors du webinaire (2) organisé en mars dernier par les étudiants du MSI, Master en Droit de l’internet et des systèmes d’information de l’Université de Strasbourg, sur la thématique des enfants «influenceurs».

L’argent étant le nerf de la guerre, les revenus des enfants, jusque-là laissés à la merci des parents qui pouvaient en disposer comme ils le souhaitaient, devront être versés à la Caisse des dépôts et consignations jusqu’à leur majorité ou leur émancipation, comme le prévoit la règle pour les enfants du spectacle. 

Ces dispositions tranchent avec les pratiques en cours dans le secteur du marketing d’influence en France. Lesquelles octroyaient quasiment tous les pouvoirs aux parents de décider des activités et de la gestion des revenus de leurs enfants en raison de leur minorité. Les risques d’exploitation, de perte de vie privée et d’une perturbation de la scolarité des enfants étaient bien réels, sans compter les préjudices physiques et psychologiques inhérents à une forte médiatisation. À ce sujet, le père de l’influenceuse française Paola Locatelli qui totalise plus d’1,8 million d’abonnés sur son compte Instagram, a partagé son expérience dans le webinaire du MSI. 

«Qu’elle ne fasse pas un burn-out»

Patrice Locatelli témoigne à quel point il a «essayé de protéger au maximum sa fille» qui a lancé sa chaîne en 2015 à l’âge de 12 ans. «Elle ne va nulle part sans porter de chapeau. J’avais peur quand elle va faire des photos de mode qu’on profite d’elle», avoue le père de Paola qui a fait le buzz en 2019 après avoir été reconnue dans le public, lors d’une conférence à Séoul, par la star planétaire Rihanna. Avoir une fille qui compte des stars parmi ses fans, pose la question de la gestion de la notoriété. «Ce que je regarde en priorité, c’est qu’elle aille à l’école et qu’elle ne fasse pas un burn-out. Sa santé mentale est très importante pour moi», souligne Patrice Locatelli.

Par ailleurs, le nouvel arsenal juridique est assorti de mesures répressives. Il prévoit des sanctions pénales à l’encontre des parents qui manqueraient de consigner les revenus de leurs progénitures. Aussi, l’administration pourra les dénoncer auprès du juge des référés, en cas d’absence d’autorisation, d’agrément ou de déclaration.

Les plateformes de partage de vidéos étant des acteurs clés, la loi prévoit de les inciter à adopter des chartes afin de favoriser l’information et la sensibilisation des mineurs sur les conséquences de la diffusion de leur image sur leur vie privée. Les articles 2 et 4 de la loi confient au Conseil supérieur de l’audiovisuel la responsabilité de promouvoir la signature de ces chartes. Aussi, l’article 6 du texte ouvre explicitement aux mineurs le droit à l’effacement ou à l’oubli, prévu par la loi «Informatique et libertés» du 6 janvier 1978. Sur demande directe des enfants, les plateformes seront obligées de retirer leurs vidéos, sans exiger le consentement des parents. 

Droit à l’oubli

Au-delà du droit à l’oubli, se pose la question de la propriété intellectuelle des contenus diffusés par les tout-petits. Lors du webinaire du MSI, Nathalie Dreyfus, fondatrice de Dreyfus & associés et spécialiste en Droit de la Propriété Intellectuelle, a fait savoir que l’influenceur reste propriétaire des photos et vidéos même si celles-ci sont publiées sur les réseaux sociaux. Ce droit tire d’une part son fondement de l’article Article L111-1 du code de la propriété intellectuelle qui stipule que «l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous» et d’autre part de l’ Article L112-1 du même code qui protège les droits des auteurs sur toutes leurs œuvres de l’esprit. Dans la même logique, Nathalie Dreyfus a expliqué qu’une «marque peut librement partager sur sa page Facebook le lien vers la vidéo Youtube de l’influenceur. Mais qu’elle n’est pas autorisée à télécharger ou récupérer modifier et diffuser le contenu de l’influenceur sans autorisation.»

Dans tous les cas, un pas important a été indéniablement franchi avec la nouvelle loi en France. Mais comme le souligne Me Cathia Marion, l’étape d’après ne consisterait-elle pas à protéger le public des «influenceurs» qui est tout aussi jeune et exposé aux dangers inhérents aux messages sur les plateformes ? La question vaut tout son pesant d’or.

Revivez le webinaire du MSI sur http://webinaire.mastermsi.fr

Article rédigé par Etonam Ahianyo


Sources :

(1) Loi L. nº 2020-1266, du 19 octobre 2020

(2)  Webinaire – Protection des enfants influenceurs

Source image : Pixabay