Article rédigé par P. Petrov

La vice-présidente de la Commission européenne Margrethe Vestager a annoncé lors d’une conférence de presse le 10 novembre dernier l’ouverture d’une nouvelle enquête contre Amazon ainsi que la notification des griefs pour abus de position dominante.

Pour mémoire, Amazon avait déjà fait l’objet d’une enquête de la DG Concurrence entre 2015 et 2017, pour l’usage de clauses de la « nation la plus favorisée » qui obligeaient les éditeurs à offrir à la plateforme des conditions similaires ou plus favorables que celles accordées à ses concurrents (affaire « Amazon E-Books »)1.

Le géant numérique s’est vu, cette fois, adresser par la Commission européenne une communication des griefs pour non-respect de l’article 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (« TFUE ») interdisant toute forme d’abus de position dominante sur le marché.

La DG Concurrence a souligné la double qualité d’Amazon de détaillant et de plateforme d’intermédiation numérique. En effet, Amazon met en rapport marchands et consommateurs alors qu’il s’agit également d’un opérateur verticalement intégré. Il fournit ainsi non seulement des services de logistique mais également commercialise ses propres produits sur la plateforme.

Utilisation abusive des données personnelles de détaillants

La Commission européenne considère qu’Amazon fait un usage abusif des données non publiques des vendeurs de sa place de marché. Sont concernées en particulier, le nombre d’unités de produits commandées et expédiées, les recettes des vendeurs sur la place de marché, le nombre de visites sur les offres des vendeurs, les données relatives aux expéditions, aux performances passées des vendeurs et à d’autres réclamations des consommateurs sur les produits. Selon la Commission, une telle pratique permet au géant numérique d’éviter les risques liés au jeu normal de la concurrence sur le marché de détail. Des volumes considérables de données non publiques des détaillants sont à la disposition des salariés de l’activité de vente au détail d’Amazon.

La Commission a également observé que l’accès à ces données permet à Amazon de cibler les offres sur les produits les plus vendus dans les différentes catégories et d’ajuster ses offres en fonction des données non publiques des vendeurs concurrents. En même temps, selon la Commission, c’est en fonction de cette pratique qu’Amazon peut tirer des profits injustifiés de sa position dominante sur le marché de la fourniture de services, en tant que place de marché numérique en France et en Allemagne – les plus grandes zones commerciales géographiques pour Amazon dans l’Union européenne.

Toutefois, l’envoi d’une communication des griefs ne détermine pas le résultat de l’enquête de la Commission.

« Self-preferencing » ou la pratique d’un référencement privilégié sur la « boîte d’achat »

Le même jour, la « DG Concurrence » a ouvert une seconde enquête sur les pratiques commerciales d’Amazon susceptibles de favoriser artificiellement, d’une part, ses propres offres de vente au détail, et, d’autre part, certaines offres des vendeurs de sa place de marché qui utilisent les services logistiques et de livraison d’Amazon. La Commission doit notamment examiner si les critères de sélection des offres qui emporteront un référencement dans la « boîte d’achat » permettant aux vendeurs en détail de proposer leurs produits aux utilisateurs d’Amazon Prime, peuvent conduire à un traitement préférentiel des activités de détail d’Amazon et des détaillants utilisant les services de livraison fournis par le géant américain.

Effectivement, la possibilité d’être référencé dans la « boîte d’achat » s’avère essentielle pour la visibilité des détaillants car celle-ci met en valeur l’offre d’un seul détaillant pour un produit particulier. Dans son communiqué de presse, la Commission a mis en avant que cela offre au détaillant sélectionné de générer un chiffre d’affaires plus élevé. De surcroît, cette option permet aux utilisateurs de la place de marché de capter l’attention des utilisateurs d’Amazon Prime dont le nombre est en croissance constante.

Dans l’hypothèse où la Commission conclurait à une pratique rapprochée éventuellement contraire aux règles de la concurrence, elle procédera à une enquête approfondie.

Les enquêtes à l’égard des pratiques commerciales d’Amazon sont des exemples illustratifs des enjeux auxquels font face la Commission européenne et les autorités nationales de concurrence s’agissant des pratiques anticoncurrentielles commises par les plateformes « structurantes ». En effet, la proposition très récente de la Commission européenne d’un règlement applicable aux marchés numériques contient une liste de pratiques commises par les plateformes structurantes considérées comme anticoncurrentielles2. Elles concernent également l’accumulation excessive de données et la préférence injustifiée à ses propres services. La proposition de la Commission prévoit une liste de responsabilités particulières des plateformes numériques ayant pour objet de garantir une concurrence non-faussée.

Alors que cette proposition fera l’objet de nombreuses discussions entre le Parlement européen et le Conseil et que ses dispositions peuvent être modifiées, celle-ci pourrait avoir des effets sur l’issue des deux enquêtes engagées à l’encontre du géant numérique.

Sources:

1Commission européenne, 4 mai 2017, affaire AT.40153, E-book MFNs (« Amazon »)

2Communication de la Commission, 15 décembre 2020, Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique (législation sur les marchés numériques).

Source image : Pixabay